Le 13 mai 2021, le gouvernement du Québec a déposé le projet de loi 96 qui vise à « renforcer » les dispositions de la Charte de la langue française (la « Charte »). Nous ne savons pas si ce projet de loi sera adopté et, dans l’affirmative, s’il le sera dans sa forme actuelle. Un amendement du Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le « Règlement ») est également à prévoir. Dans l’intervalle,
les textes actuels de la Charte et du Règlement continuent de s’appliquer.
Le présent article offre un survol des changements proposés par le projet de loi 96, dont notamment ceux relatifs à la langue du commerce et des affaires, au traitement des plaintes par l’Office québécois de la langue française (l’«
OQLF ») et à ses pouvoirs. Nous traiterons également des sanctions en cas de violation à la Charte. L’impact réel de cette réforme ne pourra être évalué que lorsque le projet de loi
et les changements anticipés au Règlement seront adoptés dans leur forme finale.
Langue du commerce et des affaires
Les contrats d’adhésion et les contrats contenant des clauses-types1
Le projet de loi 96 exige que pour qu’une partie soit liée par un contrat rédigé dans une langue autre que le français, elle doit tout d’abord avoir pris connaissance de la version française du contrat et
ensuite avoir exprimé sa volonté expresse d’être liée par la version dans une langue autre que le français. À noter qu’une partie ne peut exiger de l’autre quelque somme que ce soit pour la
rédaction de la version française du contrat.
Le projet de loi 96 prévoit des sanctions civiles en cas de non-respect des dispositions afférentes à la langue des contrats, dont l’annulation du contrat ou encore la réduction de l’obligation de la personne qui
subit un préjudice2 en raison d’un manquement à cette nouvelle disposition.
Également, dans tout contrat d’adhésion ou de consommation, il est nécessaire que l’adhérant ou le consommateur ait expressément demandé à ce que le contrat soit rédigé dans une
langue autre que le français. À défaut, toute clause rédigée dans une langue autre que le français est réputée incompréhensible, ce qui peut entrainer la nullité de la clause3.
Les dispositions afférentes à ce qui précède entreraient en vigueur le jour de la sanction du projet de loi 964.
L’affichage public et la publicité commerciale5
L’exception de la « marque de commerce reconnue », qui permet, entre autres, l’affichage d’une marque de commerce dans une langue autre que le français dans la mesure où cette marque est enregistrée au
Canada ou que son titulaire détient des droits d’usage et que sa version française n’y est pas enregistrée6 est maintenant restreinte
aux seules « marques de commerce déposées », soit des marques enregistrées en vertu de la Loi sur les marques de commerce. En d’autres termes, le titulaire de droits d’usage dans une
marque de commerce ne peut plus se prévaloir de l’exception de la « marque de commerce reconnue » et est contraint de traduire en français la marque de commerce non enregistrée qui apparait dans son
affichage public.
Pour tout affichage public d’une marque de commerce enregistrée qui apparait dans une langue autre que le français, l’exigence de la « présence suffisante du français »7 est remplacée par l’exigence de la nette prédominance du français8. En termes pratiques, cela signifie
que lorsqu’une marque de commerce enregistrée est affichée à l’extérieur d’un commerce, elle doit être accompagnée d’inscriptions en français ayant un impact visuel plus important
que la marque en question. La même exigence s’applique à un nom commercial affiché à l’extérieur d’un commerce comprenant une partie dans une langue autre que le français9.
Ce qui précède entrerait en vigueur 3 ans suivant la sanction du projet de loi 9610.
Plaintes, pouvoirs de l’OQLF et sanctions
Traitement des plaintes
Le projet de loi 96 formalise la façon dont l’OQLF doit traiter les plaintes et lui impose également certaines obligations en la matière11. Notamment,
l’OQLF doit rendre compte au plaignant en l’informant du traitement de sa plainte et des mesures que l’OQLF entend prendre contre l’auteur du manquement.
La date d’entrée en vigueur de ces changements serait la date de nomination du premier commissaire à la langue française12.
Pouvoirs de l’OQLF
Le projet de loi 96 étend et amplifie les pouvoirs de l’OQLF. Il octroie notamment à l’OQLF le pouvoir d’émettre des ordonnances en cas de manquement aux dispositions de la Charte ou encore de demander à la
Cour supérieure d’émettre des injonctions13. Le projet de loi 96 permet ainsi à l’OQLF d’ordonner le retrait des tablettes des
produits non-conformes aux dispositions relatives aux inscriptions sur les produits ou de demander à la Cour d’émettre une injonction à cet effet.
L’OQLF peut également demander au tribunal d’ordonner le retrait ou la destruction des affiches, annonces, panneaux-réclame et enseignes lumineuses qui contreviennent à la Charte14.
La date d’entrée en vigueur de ces changements serait le jour de la sanction du projet de loi 9615.
Sanctions en cas de violation
Les sanctions en cas de violation sont plus sévères et diversifiées. Par exemple, une entreprise peut se faire suspendre ou révoquer un permis émis par le gouvernement si elle viole la Charte de manière répétée16.
Les amendes pour des personnes physiques sont de 700$ à 7,000$ (sous la Charte, les amendes actuelles sont de 600$ à 6,000$), et pour les personnes morales, les amendes sont de 3,000$ à 30,000$ (actuellement de 1,500$ à 20,000$)17.
L’augmentation des amendes peut sembler à première vue peu importante, mais tel n’est pas le cas, puisque le projet de loi 96 contient des dispositions qui multiplient leur montant, notamment :
- Le montant double pour une première récidive et triple pour toute récidive additionnelle18;
- Si l’infraction est commise par un dirigeant ou un administrateur d’une personne morale, les montants minimal et maximal de l’amende doublent pour les personnes physiques19;
- Si l’infraction se poursuit pendant plus d’un jour, chaque jour est considéré comme une infraction distincte, ce qui multiplie ainsi le montant des amendes20.
À l'heure actuelle, nous ne savons pas si, ni quand, le projet de loi 96 entrera en vigueur. Toutefois, le projet de loi 96 est une priorité pour le gouvernement du Québec et tous les partis politiques du Québec souhaitent
faire avancer ce dossier rapidement.
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Références
1. Charte, article 55 et Projet de loi 96, article 44.
2. Projet de loi 96, article 114 (204.19).
3. Projet de loi 96, article 114 (204.25) et Code civil du Québec, article 1436.
4. Projet de loi 96, article 201.
5. Projet de loi 96, article 47.
6. Voir notre article « Les exigences en matière de langue française au Québec : Partie 5 – L’exception de la marque de commerce reconnue ».
7. Voir notre article « Les exigences en matière de langue française au Québec : Partie 6 – Une marque de commerce reconnue affichée à l’extérieur d’un bâtiment ».
8. Voir notre article « Les exigences en matière de langue française au Québec : Partie 4 – L'affichage public et la publicité commerciale ».
9. Projet de loi 96, article 48.
10. Projet de loi 96, article 201 para. 5.
11. Projet de loi 96, article 107.
12. Projet de loi 96, article 201 para. 7.
13. Projet de loi 96, article 113 (184).
14. Projet de loi 96, article 113 (184).
15. Projet de loi 96, article 201.
16. Projet de loi 96, article 114 (204.27).
17. Projet de loi 96, article 114 (205).
18. Projet de loi 96, article 114 (206).
19. Projet de loi 96, article 114 (207).
20. Projet de loi 96, article 114 (208).
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