Cabinet en propriété intellectuelle au Canada

Guillaume Lavoie Ste-Marie s'est récemment exprimé sur le thème de l'intelligence artificielle (IA) et de la protection de la PI pour les œuvres créées à l'aide de l'IA, en tant qu'invité de « Voix de la PI canadienne », un balado officiel produit par l'Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC).

Guillaume a souligné de nombreux aspects que les utilisateurs d'IA doivent prendre en compte avant de travailler avec l'IA, de la lecture des termes de la licence à l'accès à l'IA, en passant par la prise en compte des informations originales ou confidentielles qui sont utilisées par l'IA pour créer les œuvres. 

La transcription de la conversation entre Guillaume et l'animatrice Lisa Desjardins est disponible ci-dessous, et vous pouvez également écouter le balado ici :

 

Transcription :

Maya Urbanowicz (Maya) : Vous écoutez « Voix de la PI canadienne », un balado où nous discutons de propriété intellectuelle avec des professionnels et des intervenants du Canada et d'ailleurs. Vous êtes entrepreneur, artiste, inventeur ou simplement curieux? Vous allez découvrir des problèmes concrets – et des solutions concrètes – ayant trait au fonctionnement des marques de commerce, des brevets, du droit d'auteur, des dessins industriels et des secrets commerciaux dans la vie de tous les jours. Je m'appelle Maya Urbanowicz et je suis votre animatrice d'aujourd'hui.

Les points de vue et les opinions exprimés dans les balados sur ce site Web sont ceux des baladodiffuseurs et ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle de l'OPIC.

L'intelligence artificielle existe depuis de nombreuses décennies et récemment, de nombreuses entreprises ont ouvert leur plateforme d'intelligence artificielle pour le public. La plupart des gens peuvent maintenant utiliser l'intelligence artificielle pour créer du texte, de la musique, des images, même des dissertations. Il n'y a aucun doute que c'est un moment très intéressant pour les développeurs d'intelligence artificielle de voir leurs efforts aboutir, mais c'est aussi un défi dans le contexte des lois sur la propriété de ces créations. Dans les écoles, les enseignants se demandent qui a réellement écrit la dissertation et en termes de droit d'auteur, qui en est l'auteur? Les pays sont maintenant contraints de décider s'ils accorderont ou non le droit d'auteur aux créations d'intelligence artificielle, ce qui pose un autre problème, car la plupart des pays sont signataires du traité de Berne, qui donne essentiellement une protection automatique par droit d'auteur aux créations originales faites par l'homme. Mais comment va-t-on traiter cette nouvelle catégorie de créations, si les lois nationales sont différentes? Les défis ne s'arrêtent pas à l'octroi ou non du droit d'auteur aux créations d'intelligence artificielle. Si une œuvre créée par l'intelligence artificielle ressemble à une œuvre déjà protégée par des droits d'auteur, peut-on poursuivre l'intelligence artificielle en justice? Et peut-être, juste peut-être, pouvons-nous demander à une intelligence artificielle de résoudre nos problèmes juridiques? Pour en savoir plus, nous rencontrons Guillaume Lavoie Ste-Marie, directeur chez Smart & Biggar à Montréal. Guillaume est un avocat en litige de droit d'auteur, brevets et marques déposées chez Smart & Biggar depuis 2011 avec une vaste expérience en litige dans des cas complexes de propriété intellectuelle.

Le sujet d'aujourd'hui est très à propos et en pleine évolution. Guillaume, je suis ravie de pouvoir avoir une conversation aujourd'hui avec vous. Bienvenue à notre épisode d'aujourd'hui.

Guillaume Lavoie Ste-Marie (Guillaume) : Merci de me recevoir. C'est un sujet qui est très intéressant dans un domaine de la technologie qui est en constante évolution, donc très intéressant de pouvoir en parler avec vous aujourd'hui.

Maya : Avant de commencer, il est important de mentionner que la conversation d'aujourd'hui n'est pas à prendre comme un avis juridique. Comme vous avez mentionné, l'intelligence artificielle est en pleine évolution et les choses changent presque chaque jour.

Guillaume : Oui, tout à fait. Donc je vais vous répondre au meilleur de mes connaissances, au meilleur de mes capacités, mais ce n'est évidemment pas un avis juridique. Puis de toute manière, le droit n'est pas complètement fixé sur toutes les questions desquelles on veut discuter. Et évidemment, chaque situation factuelle est différente, donc c'est simplement à titre informatif.

Maya : Donc, avant de nous plonger dans le sujet, pouvez-vous nous parler un peu de vous et de ce que vous faites?

Guillaume : Oui, je suis directeur chez Smart & Biggar, à Montréal, qui est un cabinet de propriété intellectuelle pancanadien. Je pratique principalement en litige en matière de droit d'auteur, de marques de commerce, de brevets, principalement devant la Cour fédérale dans divers domaines de droit de la propriété intellectuelle, comme je le disais. Et ce, depuis environ une dizaine d'années maintenant.

Maya : Et de nos jours, l'intelligence artificielle crée des sons, des images, du texte. C'est un élément très excitant. D'un point de vue du droit d'auteur, qui est le créateur et qui est le propriétaire de ces créations?

Guillaume : C'est une question qui est assez difficile à répondre. Il n'y a pas de plateforme spécifique à l'intelligence artificielle à l'intérieur de notre loi sur le droit d'auteur. Donc, les principes généraux en matière de droit d'auteur s'appliquent et il faut faire le mieux qu'on peut pour les appliquer à une situation d'intelligence artificielle. Pour avoir un début de réponse, il faut comprendre que la loi sur le droit d'auteur donne aux auteurs un monopole sur ce que la loi appelle des œuvres. Donc, ça peut être des œuvres littéraires, ça peut être des œuvres musicales, ça peut être des œuvres dites artistiques, des peintures, des sculptures, des films, etc. Et pour qu'une œuvre soit protégeable en vertu de la loi sur le droit d'auteur, ce n'est pas nécessaire qu'elle soit innovante ou absolument créative, mais il doit quand même y avoir ce que la loi appelle l'exercice d'un certain talent et d'un certain jugement par l'auteur. Donc, la question qu'il va falloir se poser pour savoir si une œuvre créée par intelligence artificielle est protégée par droit d'auteur c'est justement : « Est-ce qu'il y a un auteur quelque part qui a exercé un certain niveau de talent et de jugement pour aboutir à l'œuvre finale qui va impliquer l'utilisation de l'intelligence artificielle? » Peut-être une petite parenthèse, je préciserais que le fait qu'on utilise un outil technologique pour générer une œuvre, dans ce cas-ci l'intelligence artificielle serait l'outil technologique, n'est pas un obstacle en soi à ce que l'œuvre soit protégée. Il y a plusieurs autres exemples : les gens qui utilisent des plateformes digitales audio ou les gens qui vont utiliser des logiciels, par exemple, sur leur ordinateur pour faire des dessins ou des peintures digitales numériques utilisent des outils pour arriver à une œuvre qui est protégeable. La question est vraiment : « Est-ce que l'utilisateur a exercé suffisamment de talent et de jugement pour que l'on considère l'œuvre comme étant originale et donc protégeable? » Je donnerais peut-être des exemples pour se situer un petit peu sur ce spectre-là, entre ce qui est protégeable et ce qui ne l'est pas. Si j'utilise une intelligence artificielle qui génère des images, puis je lui donne comme texte d'entrée : « Fais-moi une peinture de Montréal en hiver ». L'intelligence artificielle risque d'être capable de générer une image qui va répondre à ma demande. Mais ce que j'ai contribué en tant qu'utilisateur, ce n'est probablement pas suffisant pour que je puisse revendiquer le droit d'auteur sur cette image-là. Parce que ce que j'ai contribué, c'est vraiment juste une idée, un concept général et cette idée n'est pas protégeable. De l'autre côté du spectre, si ce que je contribue, ce que je donne comme entrée à l'intelligence artificielle, c'est par exemple un texte que j'ai déjà rédigé ou une pièce musicale que j'ai déjà enregistrée et que je lui demande pour le texte de corriger la grammaire ou que je demande à l'intelligence artificielle, pour l'œuvre musicale, de changer le ton de l'œuvre ou de retirer des sons non désirables à l'intérieur de l'enregistrement. À ce moment-là, je pourrais faire l'argument que moi, en tant qu'utilisateur, je détiens toujours le droit d'auteur sur l'œuvre ultime, même après sa manipulation par l'intelligence artificielle, parce que ma contribution est une contribution protégeable. Donc, il n'il n'y a pas de réponse fixe, y a pas de réponse qui va s'appliquer à toutes les situations, mais dans l'état actuel du droit, ça serait ma réponse.

Maya : En général, les auteurs se basent sur le droit d'auteur pour gagner de l'argent sur leurs œuvres. Elles leur appartiennent et ils peuvent en demander une rémunération. Mais pour les œuvres d'intelligence artificielle, cela n'est pas si clair. Certaines applications d'intelligence artificielle sont gratuites à utiliser, d'autres exigent des frais. La plupart sont soumises à des conditions de licence. Est-ce que je dois vraiment lire et accepter les termes de la licence? Si c'est juste une chose d'intelligence artificielle qui n'a pas de protection par le droit d'auteur de toute façon?

Guillaume : Bien, premièrement, peut-être répondre à la fin de la question. Dans certaines situations, comme je viens de le mentionner, il pourrait y avoir une protection par droit d'auteur, donc ça peut donner une certaine importance à tout l'exercice, puis convaincre les gens de lire les termes des licences. Mais de manière générale, mon conseil serait de lire et de s'assurer de bien comprendre les conditions d'utilisation, les licences d'utilisation de tout outil d'intelligence artificielle qu'on utilise, surtout si l'on donne une certaine valeur, soit à notre contribution à l'intelligence artificielle, c'est-à-dire ce que je vais donner à l'intelligence artificielle pour me générer quelque chose, ou si j'accorde une certaine valeur à ce que je m'attends à ce que l'intelligence artificielle génère. Parce que, dans le premier cas, je veux m'assurer que le fait de donner quelque chose à l'intelligence artificielle ne donne pas lieu à une perte de droit. Par exemple, la licence pour rait dire qu'en donnant du contenu comme « nourriture » à l'intelligence artificielle, je renonce à tous mes droits ou j'accorde une licence à la compagnie derrière le logiciel, etc. Donc, il faut faire attention à ce à quoi l'on renonce quand on fournit quelque chose à l'intelligence artificielle, et de la même manière, il faut s'assurer qu'on a le droit d'utiliser ce que l'intelligence artificielle va générer. La licence pourrait, par exemple, prévoir que je peux utiliser l'intelligence artificielle gratuitement, mais je m'engage à ne pas utiliser ce qu'elle génère à des fins commerciales. Dans une situation comme celle-là, même si ce n'est pas protégé par droit d'auteur, je me suis créé une obligation commerciale de ne pas faire quelque chose et je m'expose potentiellement une responsabilité si je brise cette obligation. Il y a certaines personnes qui vont utiliser l'intelligence artificielle plus comme un jouet ou une sorte de passe-temps, mais si vous avez la moindre intention de l'utiliser de manière commerciale, si vous accordez une quelconque valeur soit à ce que vous donnez à l'intelligence artificielle ou à ce qu'elle va générer, très important de lire les conditions d'utilisation, de lire les licences et surtout de bien les comprendre.

Maya : Nous allons changer de sujet pour des situations où la création d'intelligence artificielle est utilisée dans un contexte important. Donc, imaginez si une intelligence artificielle a suggéré un nom de marque, un slogan ou un design vraiment cool. Est-ce que c'est une bonne idée de poursuivre avec ce nom qui m'a été suggéré en tant que marque déposée?

Guillaume : Pour commencer, je pense qu'un élément important, c'est de noter que le droit qui entoure le droit d'auteur et celui qui entoure les marques de commerce sont très différents. Le droit d'auteur et la marque de commerce sont 2 types de droits de propriété intellectuelle, mais qui ont des objectifs qui ne sont pas du tout les mêmes. En matière de droit d'auteur, ce qu'on protège, c'est les droits dans une œuvre, comme je l'expliquais plus tôt. Donc, si je suis peintre, je fais une peinture, dès le moment où je crée cette peinture, moi, en tant qu'auteur de l'œuvre, je détiens le droit d'auteur sur cette œuvre-là. Je détiens le droit exclusif, par exemple, d'exploiter l'œuvre commercialement. Une marque de commerce, de l'autre côté, protège quelque chose qui est complètement différent, c'est-à-dire le droit d'une entreprise d'être reconnu comme étant la source des produits ou des services qui sont vendus en liaison avec sa marque de commerce. Le miroir, si l'on veut, de cette affirmation-là, c'est que ça protège aussi, ça s'assure que le consommateur, qui achète un produit qui porte une marque de commerce donnée, sait d'où le produit provient. Donc, si j'achète un produit de marque ABC, en tant que consommateur, je peux être assuré que le produit provient de la compagnie ABC toutes les fois où je vais acheter ce type de produit parce que, justement, c'est protégé par une marque de commerce. Pour les marques de commerce, je mentionnerais au passage que c'est possible qu'un logo, un design ou un dessin soit aussi une marque de commerce et une œuvre protégée par droit d'auteur. Si l'on parle de l'aspect de droit d'auteur d'un logo, alors ça serait les mêmes réponses que j'ai données plus tôt quand on parlait de droit d'auteur plus généralement. Quand on parle de marque de commerce, il faut se poser la question : « Dans quel contexte est-ce qu'une marque de commerce va être protégée? Dans quel contexte est-ce que je génère des droits dans une marque de commerce? » La règle, contrairement à une œuvre protégée par droit d'auteur, la marque de commerce n'a pas besoin d'être originale. Il y a plusieurs compagnies qui utilisent des marques de commerce qui sont des mots courants de tous les jours, par exemple la marque Apple. Le mot « Apple » n'est pas protégé parce que c'est un nouveau mot ou un mot original, il est protégé parce que c'est un mot qui est distinctif d'une entreprise en particulier. Si vous demandez à une intelligence artificielle de vous générer une marque de commerce, un slogan ou une marque pour un produit, contrairement au droit d'auteur, la question ne se pose pas à savoir s'il y a des droits qui sont générés dès le moment de la création de la marque, parce que les marques de commerce, ce n'est pas comme ça que ça marche. Il faut que, par la suite, la marque devienne distinctive ou qu'elle soit enregistrée, si l'on parle d'une marque enregistrée, et pour qu'elle devienne distinctive et pour maintenir ses droits d'enregistrement, il faut utiliser la marque sur le marché et que les consommateurs la reconnaissent comme étant ma marque de commerce. C'est ça qui génère les droits dans les marques de commerce. Et c'est là que survient le risque, et c'est un risque qui n'est pas inhérent à l'utilisation d'une intelligence artificielle. Mais si l'intelligence artificielle me génère une marque de commerce, donc je l'aime bien, je trouve que c'est une bonne idée, je l'applique à mon produit, je lance mon produit sur le marché. C'est possible que cette marque de commerce existait déjà et était déjà utilisée par un compétiteur, et là je suis en train de violer ses droits. Donc, comme je disais, ce n'est pas inhérent à l'utilisation de l'intelligence artificielle, ça peut arriver ce type de situation aussi, si je décide de développer ma propre marque de commerce sans outils technologiques. Et ce qui est important pour éviter ce type de problème, c'est de consulter un avocat ou un agent de marque de commerce qui, lui ou elle, va être équipé pour faire une recherche, à la fois sur le marché et dans les bases de données pertinentes, pour s'assurer que la voie est libre pour l'utilisation de la marque. Donc, ça peut sembler être une réponse qui fait un peu de la promotion de mes propres services, mais ultimement, il faut s'assurer d'avoir le droit d'utiliser une marque de commerce. Puis, évidemment, les personnes, les mieux équipées pour donner des conseils à ce sujet-là, ce sont les spécialistes dans le domaine.

Maya : Et dans le cas où une intelligence artificielle a créé quelque chose qui ressemble à une de mes créations originales, disons une de mes peintures, qui est en faute ?

Guillaume : C'est une bonne question, puis un revers à cette question-là, c'est-à-dire : « Qu'est-ce qui arrive si j'utilise un outil d'intelligence artificielle et que ce que l'intelligence artificielle génère ressemble beaucoup à une œuvre qui existe déjà? » Est-ce que je pourrais , par exemple, être tenu responsable? Ce qu'il faut comprendre, c'est que la contrefaçon de droit d'auteur, c'est un acte qui nécessite, en fait, c'est un test en 2 étapes. Le premier requis, pour qu'il y ait une contrefaçon de droit d'auteur, c'est d'avoir accès à l'œuvre initiale et, deuxièmement, le 2e requis, c'est que l'œuvre contrefactrice reprend une partie importante ou la totalité de l'œuvre initiale. La question à savoir si l'on reprend une partie importante ou pas, c'est-à-dire l'œuvre, la 2e œuvre, elle ressemble en quelque sorte à la première, mais pas tout à fait identique. Est-ce que c'est une contrefaçon? Est-ce que ce n'en est pas une? C'est une question qui est très, très, très suggestive, c'est une question qui est très qualitative, puis qui est indépendante de l'utilisation de l'intelligence artificielle ou non, donc je ne rentrerai pas trop là-dedans. Ce que je pense va être plus décisif dans un contexte d'intelligence artificielle, c'est la notion d'accès à l'œuvre et aussi la notion de contrôle sur l'acte de contrefaçon. Donc, sur la question de l'accès à l'œuvre, une chose qui est très intéressante en matière d'intelligence artificielle, c'est que, par leur nature, les outils d'intelligence artificielle apprennent à générer ce qu'ils réussissent à générer en consommant une grande, grande, grande quantité d'œuvres qui peuvent être des textes, des images, des sons, etc. Et donc, ce n'est pas impossible que l'outil d'intelligence artificielle avait accès, parmi des millions et des millions d'œuvres, à l'œuvre originale. Donc, dans une situation comme celle-là, la première étape du test serait rencontrée. Une autre situation où la première étape du test serait rencontrée, c'est où l'utilisateur donne comme entrée, comme « input » ou entrée, pour l'exercice de génération d'images par intelligence artificielle, une image qui est déjà protégée, donc qui a en sa possession, par exemple votre peinture. Donc, si je fais ça, je peux vous donner l'exemple par exemple, je prends une photo d'une vue d'ensemble d'une ville, je la donne à l'intelligence artificielle et je dis : « Rajoute-moi des extraterrestres ou des monstres, je veux que la ville soit attaquée par différentes bêtes ». L'intelligence artificielle va générer une image qui va utiliser l'œuvre originale et qui va probablement lui ressembler. Et moi, en tant qu'utilisateur, j'avais accès à l'œuvre originale, puis j'ai donné les directions à l'intelligence artificielle de plus ou moins la copier, donc je pourrais être tenu responsable dans une situation comme celle-là. L'autre question qu'on peut se poser, c'est : « Est-ce qu'il y aurait une responsabilité au niveau des gens qui ont programmé l'intelligence artificielle sur les individus ou l'entreprise qui est derrière l'outil d'intelligence artificielle? » Et, à mon avis, ce serait quelque chose qui serait assez difficile dans la majorité des cas à démontrer, parce que ces gens-là ont, je présume beaucoup de choses, mais dans la majorité des cas, c'est probablement le cas, un contrôle assez limité sur les actions de l'outil d'intelligence artificielle qui, par sa définition, opère un petit peu par lui-même. Donc, pour faire une, une longue histoire courte, je sais que tout ça est quand même assez très complexe. Si je suis un utilisateur d'intelligence artificielle, il faut que je fasse attention de ne pas utiliser une œuvre existante comme point de départ dans l'exercice, parce que je pourrais être tenu responsable de contrefaçon, et si je suis l'auteur de l'œuvre qui aurait été copiée dans tout cet exercice, la situation devient beaucoup plus complexe parce qu'il faut que je réussisse à démontrer soit que l'utilisateur ou que l'outil lui-même avait accès à mon œuvre, et deuxièmement, qu'il y avait un certain élément de contrôle sur le processus pour pouvoir établir la violation par une personne ou une autre, que ça soit l'utilisateur ou l'entreprise derrière lui.

Maya : Merci pour les clarifications c'est très intéressant. De nos jours, tout le monde parle du ChatGPT, ça fait fureur. Beaucoup de gens parlent, certains disent même que l'intelligence artificielle va remplacer notre travail. D'autres disent que ça peut aider, simplifier des tâches seulement. Mais qu'est-ce qu'il arrive si quelqu'un veut utiliser l'intelligence artificielle pour une consultation juridique? J'ai demandé au ChatGPT ce qui suit, et je cite : « Quelqu'un a utilisé l'intelligence artificielle pour créer quelque chose qui ressemble à ma création, qui dois-je poursuivre? » La réponse a dit, et je cite encore une fois : « Si quelqu'un utilise l'intelligence artificielle pour créer quelque chose qui ressemble étroitement à votre œuvre protégée par le droit d'auteur, vous pouvez avoir une réclamation pour atteinte au droit d'auteur. » La réponse m'a également indiqué ce que je dois prouver et que je dois en fait consulter avec un avocat. Vous avez vu le texte. La réponse est-elle correcte?

Guillaume : La réponse était correcte, mais n'était pas particulièrement utile parce que si je pose cette question-là, puis que la réponse est que je pourrais avoir une réclamation pour droit d'auteur, ça ne me dit pas que j'en ai une, ça ne me dit pas que je n'en ai pas une. En fait, ce que ça me dit, indirectement, c'est que ça va dépendre largement des faits de ma situation. Et, comme on l'a vu en réponse aux questions précédentes, ça peut devenir assez complexe, assez rapidement. Dans certains cas, il va y avoir clairement contrefaçon. Dans certains cas, il va clairement ne pas y avoir de contrefaçon, puis dans d'autres cas, la réponse pourrait être un petit peu plus floue. Il y a aussi la question des lois nationales, c'est-à-dire que si l'on ne précise pas de quel pays on parle en posant la question à l'intelligence artificielle, et que la réponse ne le précise pas non plus, il y a une possibilité de confusion additionnelle parce que le droit d'auteur, c'est un droit qui est relativement uniforme d'un pays à l'autre, mais qui reste qu'il a ses particularités nationales et chaque loi nationale est différente dans une certaine mesure. Et donc, une réponse qui est bonne pour un pays pourrait ne pas l'être ou même être dommageable et complètement incorrecte pour un autre pays. Donc, il faut faire attention à cela. Je pense que, ultimement, ce type d'outils pour répondre à ce type de question peut être utile pour avoir une idée générale de quelle pourrait être la réponse, puis peut-être pour pointer l'utilisateur dans la bonne direction, mais il ne faut pas considérer la réponse comme étant un avis juridique, parce que, simplement, ce n'en est pas un. J'ai aussi testé ChatGPT en lui posant d'autres questions de nature juridique en droit d'auteur, puis d'autres questions de propriété intellectuelle auxquelles je connaissais la réponse. Puis, je dirais que dans la majorité des cas, on retrouve à peu près la même qualité de réponse, c'est-à-dire la réponse est correcte, mais n'est pas très utile. Le danger, c'est que parfois la réponse est complètement incorrecte, et ça, malheureusement, si je suis quelqu'un qui pose la question à ChatGPT de manière générale, c'est parce que je ne connais pas la réponse et donc je ne serais pas capable de détecter que la réponse est incorrecte. Donc, je pense que le point à retenir de tout ça, c'est que ça peut être une source d'information, mais que si l'on veut une réponse à nos questions sans consulter un avocat spécialisé dans le domaine, il faut certainement consulter plus qu'une source, pour se faire une bonne idée de qu'elle pourrait être la réponse. Et, évidemment, plus qu'une source qu'une réponse donnée par l'intelligence artificielle qui n'a pas été vérifiée par personne, en vérité.

Maya : Je vais pousser les choses un peu plus loin. Certains disent qu'embaucher un avocat coûte trop cher et ils vont se tourner vers l'intelligence artificielle pour obtenir de l'aide. Donc, j'ai également demandé à ChatGPT d'écrire une lettre de mise en demeure. Il me donnait un exemple de lettre contenant des déclarations clés telles que : « Je vous écris pour exiger que vous cessiez immédiatement d'utiliser [entre parenthèses : décrire l'œuvre protégée par le droit d'auteur ou la marque déposée] de quelque manière que ce soit », ainsi qu'un conseil de consulter un avocat avant d'envoyer quoi que ce soit. Quels sont vos commentaires sur la lettre et l'idée d'obtenir un exemple généré par de l'intelligence artificielle ?

Guillaume : La première chose, j'ai révisé la lettre dans son ensemble, puis elle inclut aussi certains avertissements au début puis à la fin, donc un peu dans le genre que vous avez mentionné. La lettre contient du langage qu'on retrouve souvent dans les lettres de mise en demeure, dites plutôt standard. Elle suivait une structure qui est généralement celle qu'on voit dans ce type de lettre, même celles préparées par des avocats. L'avertissement que je donnerais, par contre, à tout le monde, c'est que préparer ou envoyer une lettre de mise en demeure, même dans une situation où vous croyez avoir le droit de le faire, peut faire plus de mal que de bien en fait, peut donner lieu à de la responsabilité de votre part en tant que personne qui envoie la lettre. C'est d'ailleurs un des avertissements qui, vaguement, dit dans la réponse donnée par ChatGPT. Il y a plusieurs situations dans lesquelles envoyer une lettre de mise en demeure peut être une mauvaise idée. Évidemment, la situation où vous croyez avoir raison, mais vous n'avez pas raison, puis vous embarquez dans une aventure interminable avec votre interlocuteur, de l'autre côté. Il y a des situations où ça peut générer une responsabilité de votre part, ça peut vous plonger dans une poursuite judiciaire. Par exemple, si vous alléguez qu'une partie viole vos droits dans une œuvre ou dans un brevet, dans plusieurs cas cette partie-là peut se revirer de bord, puis intenter une action contre vous pour obtenir un jugement qu'il ne viole pas vos droits. C'est quelque chose qu'on voit relativement souvent, donc ce n'est pas parce que vous décidez de ne pas poursuivre ou que vous vous dites : « Je ne vais pas intenter de recours devant les tribunaux », que vous n'allez pas devoir vous défendre dans un recours devant les tribunaux d'une demande qui exige une déclaration de non-contrefaçon par la partie adverse. Il y a aussi la question de c'est beau de rédiger une lettre de mise en demeure puis de l'envoyer, mais c'est vraiment souvent qu'une seule partie de tout l'exercice quand l'interlocuteur va vous répondre de manière soit positive ou négative. Avez-vous les compétences, l'information nécessaire pour négocier avec eux, pour obtenir ce que vous voulez vraiment? Donc, il y a plusieurs situations où les services d'un avocat peuvent être utiles, si seulement pour vous guider dans le processus, puis au moins vous avertir des conséquences potentielles de l'envoi d'une lettre de mise en demeure. Le dernier point que je mentionnerais sur cette question, c'est que quand vous parlez avec un avocat, l'information peut être soumise au secret professionnel, donc va rester confidentielle. Et, ce que vous dites à votre avocat, même si c'est une admission qui pourrait par exemple, vous être dommageable, va rester avec votre avocat, ne deviendra pas publique. Elle ne sera pas divulguée à des tiers, elle ne sera pas divulguée à une partie adverse ou à un tribunal par exemple. Les outils d'intelligence artificielle comme ChatGPT ne sont pas des avocats, donc ils ne bénéficient pas des mêmes protections sous la loi. Vos échanges avec eux sont ne pas couverts par le secret professionnel et pourraient éventuellement se retrouver en public ou entre les mains de votre adversaire. Et, encore une fois, si l'information que vous donnez à l'outil, sans le savoir peut-être, contient des admissions qui vous sont nuisibles, vous ne voulez pas que ça se ramasse dans les mains d'un adversaire ou d'un tiers qui n'a pas rapport avec votre dispute. Par exemple, si l'intelligence artificielle utilise votre information pour préparer une réponse à une question complètement différente, ce qui n'est pas impossible. Donc, ce que je dirais peut-être comme dernier mot en réponse à cette question-là, puis à toutes les interactions avec les outils d'intelligence artificielle, c'est très important de ne jamais donner d'information privilégiée, une information confidentielle, d'information qui a rapport avec votre vie privée, parce que cette information n'est pas soumise aux mêmes obligations de confidentialité que celles qui régissent vos interactions avec un avocat.

Maya : J'ai une dernière petite question pour vous. Nous avons parlé de droit d'auteur et que le Canada est signataire du traité de Berne, qui est international, mais les lois nationales ne sont-elles pas plus importantes?

Guillaume : Oui, c'est une bonne question. Comme je le disais plus tôt, la majorité des lois sur le droit d'auteur à travers le monde, du moins dans les pays qu'on pourrait appeler civilisés, et la majorité des lois sont relativement uniformes, mais il reste quand même des petites distinctions d'un pays à l'autre. Il va certainement y avoir des distinctions au fur et à mesure que le droit se développe devant les tribunaux ou dans les lois elles-mêmes en ce qui a trait à l'intelligence artificielle. Et pour au moins le court et le moyen terme, je m'attends à ce que le traitement ne soit pas tout à fait uniforme, à moins qu'il y ait des traités internationaux qui sont signés sur la question, ce qui n'est évidemment pas impossible. Donc, jusqu'à ce que le traitement des œuvres générées par intelligence artificielle soit uniformisé à l'international, ce qui est important de regarder ça va être le droit applicable à votre pays, dans mon cas, au Canada.

Maya : Guillaume, merci énormément d'avoir partagé votre expérience et expertise avec nous aujourd'hui. L'intelligence artificielle est un sujet très fascinant et en constante évolution. Merci d'avoir pris le temps de nous parler aujourd'hui.

Guillaume : Ça m'a fait plaisir. Merci de m'avoir reçu.

Maya : Vous venez d'écouter « Voix de la PI canadienne », un balado où nous parlons de propriété intellectuelle. Dans cet épisode, vous avez rencontré Guillaume Lavoie Ste-Marie, directeur chez Smart & Biggar, pour parler de la protection de la propriété intellectuelle pour les œuvres créées par l'intelligence artificielle, et si l'utilisation de l'intelligence artificielle pour répondre à des questions de PI est une bonne idée. Guillaume a mis en évidence l'importance de se tenir informé lors de l'utilisation de l'intelligence artificielle. Il existe de nombreux aspects que les utilisateurs d'intelligence artificielle doivent prendre en compte avant de travailler avec celle-ci : de la lecture des termes de licence pour accéder à l'intelligence artificielle à la considération de quelle information originale ou peut-être confidentielle entre dans l'intelligence artificielle pour créer les œuvres. Guillaume a également noté que dans certains cas, une intelligence artificielle peut donner une réponse générale à certaines questions de propriété intellectuelle, mais qu'il existe des risques à utiliser les réponses de l'intelligence artificielle pour tous types d'actions, sans d'abord avoir au moins vérifié que la réponse de l'intelligence artificielle est correcte.

© Sa Majesté le Roi du chef du Canada, représenté par le ministre de l’Industrie, 2023. Cette reproduction est une copie de « Voix de la PI canadienne », un balado officiel produit par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, un organisme d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, et qu’elle n’a pas été faite en association avec le gouvernement du Canada ni avec l’appui de celui-ci. 

Ce qui précède constitue une mise à jour, en date de cet article, en matière de droit canadien de la propriété intellectuelle et des technologies. Le contenu est uniquement informatif et ne constitue pas un avis juridique ou professionnel. Pour obtenir de tels conseils, veuillez communiquer directement avec nos bureaux.