Au cours du mois de mai 2022, l’Assemblée Nationale du Québec a amendé la Charte de la Langue Française (ci-après, la “Charte”) et d’autres lois connexes au moyen de la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (mieux
connu sous la Loi 96). Depuis ce temps, l’INTA – en partenariat avec l’Institut de la Propriété Intellectuelle du Canada (IPIC) et certaines parties prenantes intéressées – collabore avec le gouvernement
du Québec en lui peignant un tableau précis des besoins et des préoccupations des consommateurs et des propriétaires de marques.
Un peu d’histoire
D’entrée de jeu, le français est la langue officielle du Québec. Depuis 1977, la Charte exige que toute inscription apposée sur un produit (ou son étiquette, contenant ou emballage) ou figurant à une quelconque
publication de nature commerciale (y compris tout site web ou plate-forme de réseautage social) soit rédigée soit en français, soit en français et dans une autre langue – si tant est que cette dernière
version ne se voit pas (notamment en termes de dimensions, d’emplacement, de police et de couleur) accorder plus d’importance ou d’emphase que le texte français.
Comme c’est souvent le cas, il existe certaines exceptions à cette règle. Par exemple, une marque de commerce enregistrée ou utilisée au Canada et ayant acquis une certaine notoriété (telle qu’une
marque d’usage) n’a pas à être accompagnée d’un homonyme français à moins qu’une version française ait également été enregistrée au Canada. Il s’agit
là de l’exception relative à la “marque de commerce reconnue”. Aux dires de certaines parties prenantes, un usage prolongé et bien établi fait en sorte que les consommateurs assimilent certains mots à
une véritable marque de commerce plutôt qu’à de simples informations servant à décrire un produit.
La Loi 96
Le gouvernement du Québec a introduit le Projet de Loi 96 (qui, en pratique, apporter plusieurs changements à la Charte) le 13 mai 2021. Parmi de tels changements, notons que (i) l’Office Québécois de la Langue Française (OQLF),
l’agence responsable de l’application de la Charte et de ses règlements connexes, est dorénavant autorisé à augmenter le montant des amendes imposées aux commerçants qui contreviennent
aux dispositions de la Charte et des règlements en question, et (ii) l’exception relative à la “marque de commerce reconnue” se voit restreinte en matières d’affichage public et de publicité commerciale.
Le Projet de Loi 96 a été amendé en février 2022 de manière à introduire le nouvel Article 51.1 de la Charte, qui doit se lire ainsi :
Malgré l’article 51, sur un produit, une marque de commerce déposée au sens de la Loi sur les marques de commerce (Lois révisées du Canada (1985), chapitre T-13) peut être rédigée, même
en partie, uniquement dans une autre langue que le français lorsqu’aucune version correspondante en français ne se trouve au registre tenu selon cette loi. Toutefois, si un générique ou un descriptif du produit est
compris dans cette marque, celui-ci doit figurer en français sur le produit ou sur un support qui s’y rattache de manière permanente.
Le Projet de Loi 96 ajoute également au texte de la Charte le nouvel Article 58.1, qui pour sa part stipule ce qui suit :
Malgré l’article 58, dans l’affichage public et la publicité commerciale, une marque de commerce peut être rédigée, même en partie, uniquement dans une autre langue que le français, lorsque, à
la fois, elle est une marque de commerce déposée au sens de la Loi sur les marques de commerce (Lois révisées du Canada, chapitre T-13) et qu’aucune version correspondante en français ne se trouve au registre
tenu selon cette loi.
Toutefois, dans l’affichage public visible depuis l’extérieur d’un local, le français doit figurer de façon nettement prédominante, lorsqu’une telle marque y figure dans une telle autre langue.
Le Projet de Loi 96 a été adopté par voie de sanction royale le 1er juin 2022. Pour leur part, les nouveaux Articles 51.1 et 58.1 de la Charte entreront en vigueur le 1er juin 2025. Or ce sont sur ces deux (2) articles (qui en pratique
limitent l’application de l’exception afférente à la “marque de commerce reconnue” lorsqu’il est question de marquage de produits, d’affichage public et de publicité commerciale) que se concentre
l’intervention de l’INTA.
Questions soulevées
Le 1er décembre 2022, l’INTA, l’IPIC et l’OQLF se sont réunis en vue de discuter de l’impact prévisible du nouvel Article 51.1. Au cours de la rencontre, l’alliance a fait valoir que dans la mesure où
la disposition doit entrer en vigueur le 1er juin 2025, les entreprises faisant affaires au Québec n’auront pas le temps de s’y préparer adéquatement – et ce pour deux principales raisons : (1) l’interprétation
du libellé de l’Article 51.1 demeure incertaine et approximative, et (2) le traitement des demandes d’enregistrement soumises à l’Office de la Propriété Intellectuelle du Canada (OPIC) accuse un retard
relativement important.
Parmi les questions soulevées au cours de la rencontre, on retrouvait notamment :
- Quelle interprétation l’OQLF donnera-t-elle à l’expression “description du produit”?
- De quelle manière l’OQLF déterminera-t-elle quelle portion d’une marque de commerce est de nature “générique” ou “descriptive”?
- Quelle interprétation l’OQLF donnera-t-elle à la phrase “support qui s’y rattache de manière permanente”?
- En fait, nous ne savons pas encore ce qu’est un “support”. Tout ce que le nouvel article 51.1 prévoit, c’est qu’un tel “support” doit demeurer rattaché au produit sa vie durant.
- Est-ce que l’exigence de prédominance égale stipulée à l’article 51 s’appliquera également à la traduction d’un terme générique ou descriptif?
- Dans la mesure où l’espace a généralement tendance à manquer, une telle exigence pourrait avoir un impact substantiel sur l’étiquetage.
- Est-ce que la définition que l’OQLF réserve au mot “produit” s’appliquera également à l’étiquette, au contenant et/ou à l’emballage d’un produit?
- Qu’adviendra-t-il des petits emballages n’offrant pratiquement aucun espace de rédaction?
L’INTA, L’IPIC et l’OQLF se sont réunis à nouveau en date du 12 janvier 2023. Au cours de cette rencontre, l’alliance, au moyen d’une série d’exemples fictifs, a illustré les conséquences
spécifiques et relativement graves que la Loi 96 était susceptible d’entraîner. Or bien que certains représentants de l’OQLF aient semblé comprendre les difficultés d’interprétation
en jeu après avoir posé plusieurs questions aux participants, aucun d’entre eux n’a convenu du moindre engagement à ce sujet.
Conséquences prévisibles
À compter du 1er juin 2025, seules les marques de commerce dûment enregistrées pourront bénéficier de l’exception. Au demeurant, dès qu’une marque de commerce enregistrée figurant à un
produit comprendra un terme générique ou une description du produit dans une langue autre que le français, les termes génériques ou descriptifs en question devront être traduits en français et apparaître
soit sur le produit lui-même, soit sur un support qui y demeure rattaché en permanence.
En pratique, la Charte couvre un vaste inventaire d’éléments, y compris le texte (qui, d’entrée de jeu, doit être rédigé en français) imprimé sur des produits, des emballages et des documents
(manuel d’instructions, énoncé de garanties, etc.), des publications de nature commerciale (brochures, catalogues, bons de commande et reçus, sans oublier les sites web et les comptes de réseaux sociaux destinés
au Québec), des publicités et des affiches et enseignes publiques. Dès qu’une autre langue est utilisée à l’égard d’un produit, de son emballage ou de la documentation qui l’accompagne,
elle ne peut figurer de quelque manière plus évidente que la version française ou être plus facilement visible ou accessible que cette dernière.
D'un point de vue strictement manufacturier, les délais requis dans le cadre de la mise en œuvre de changements affectant les activités d’emballage et d’empaquetage sont relativement longs – tout particulièrement
lorsqu’il est question de produits contrôlés dont toute nouvelle identification est susceptible de requérir l’approbation de certaines autorités gouvernementales. Or aucun changement ne peut être mis en
oeuvre en toute confiance en l’absence d’instructions et de lignes directrice claires – ce qui, à l’arrivée du 1er juin 2025, pourrait, d’une part, ralentir (sinon interrompre complètement) les activités
de production, et, d’autre part, compromettre la stabilité d’une chaîne d’approvisionnement et d’un environnement de distribution déjà fort éprouvés. Dans la mesure où la production
et la distribution sont des activités de portée nationale au Canada, toute décision portant sur la mise en œuvre du nouvel article 51.1 qui ne tient pas compte des coûts et des dépenses additionnels qu’elle
implique pourrait se traduire en une pénurie de produits à l’échelle de tout le pays.
Le climat d’incertitude qui entoure actuellement la Loi 96 empêche les fabricants de savoir dans quelle mesure un emballage respectera les exigences statutaires applicables. Les détaillants, pour leurs parts, risquent d’être
poursuivis en justice pour avoir (sans le vouloir) offert des produits non conformes au libellé de la Loi. En ajoutant à cela le risque que certains fabricants décident de discontinuer la vente de produits en des régions
qu’ils estiment peu rentables, on se retrouve au sein d’une conjoncture peu reluisante où certains consommateurs n’ont plus accès aux produits qu’ils souhaitent acheter.
Certains propriétaires de marques pourraient même se demander s’il leur sera profitable d’introduire leurs produits au Québec ou au Canada. Puisque les marques de commerce sont d’abord et avant tout associées
à l’origine d’un produit (ce qui amène le consommateur à établir une concordance commerciale qu’il est crucial de préserver), l’application intégrale des nouvelles dispositions est
susceptible de compromettre l’exercice de droits d’usage acquis et même de créer une confusion entre produits que certaines entreprises peu scrupuleuses n’hésiteront pas à exploiter.
À tout événement, les conséquences d’une contravention sont passées de substantielles à relativement graves, dans la mesure où la Loi 96 a étendu la portée des pouvoirs contraignants
du gouvernement et permet dorénavant aux résidents de la province de Québec d’obtenir compensation par voie d’injonction civile et de dommages-intérêts.
Bien que la nouvelle législation ait pour objectif de rendre l’étiquetage et l’identification de produits davantage accessible et intelligible aux consommateurs québécois s’exprimant principalement en français,
elle a plutôt pour effet, d’un point de vue pratique, d’imposer aux fabricants et aux détaillants des exigences techniques susceptibles d’entraîner une pénurie de certains produits non seulement au Québec
mais à l’échelle du Canada tout entier.
Prochaines démarches de l’INTA et mobilisation de la Communauté PI
Nous ignorons, à l’heure actuelle, si (et, le cas échéant, quand) des lignes directrices seront émises en lien avec les nouvelles dispositions. L’INTA et l’IPIC assureront un suivi rigoureux auprès de M. Pierre Fitzgibbon (le ministre en charge de l’Économique, de l’innovation et de l’Énergie) et de M. Jean-François Roberge (le ministre responsable de la Langue Française), et s’assureront qu’une rencontre a lieu afin de discuter des conséquences de la nouvelle législation sur les entreprises, de même que de son impact potentiel sur plusieurs consommateurs québécois qui, à court terme, pourraient se voir incapables de se procurer certains produits disponibles ailleurs en Amérique du Nord.
La limitation de l’exception afférente à la “marque de commerce reconnue” pourrait s’avérer d’autant plus problématique dans le cadre du lancement de nouveaux produits, si l’on considère
que la demande d’enregistrement d’une marque de commerce (qui en pratique constitue la première condition d’application de l’exception) peut demeurer en traitement durant plus de quatre (4) ans en raison des délais
et retards dont souffre présentement l’OPIC. Or Il s’agit là d’une question que la communauté PI devra prendre au sérieux et approfondir au cours des prochains mois, dans la mesure où elle est susceptible
d’avoir un impact préjudiciable sur les options commerciales et les choix offerts aux consommateurs à l’échelle du Canada dans son ensemble. De fait, La communauté PI doit demeurer à l’affût
d'opportunités lui permettant d’étendre (plutôt que de restreindre) les limites du territoire au sein duquel il lui est possible de faire affaires.
L'alliance qui regroupe des propriétaires de marques et d’autres parties prenantes compte de plus en plus de membres. En collaboration avec l’INTA, elle accueille à bras ouverts tous ceux qui militent en faveur d’une conception
inclusive de la Loi 96 tout en cherchant la meilleure façon d’assurer que les fabricants, les détaillants et les consommateurs soient en mesure de soutenir les marchés québécois et canadien au moyen d’idées
avant-gardistes et de produits concurrentiels.
Le présent article, intitulé “ Québec – L’INTA forme une alliance en vue de répondre au Projet de Loi 96”, est tout d’abord paru au fil de presse de l’International
Trademark Association (INTA) et a depuis été republié avec le consentement de l’éditeur. La traduction française de l’article a été préparée par le cabinet Smart
& Biggar.
Pour en apprendre davantage au sujet de la Loi 96 et des changements apportés aux dispositions de la Charte et de ses règlements connexes, n’hésitez pas à contacter Me Christian Bolduc.
Le présent article se veut une mise à jour ponctuelle en matière de droit des technologies et de la propriété intellectuelle en vigueur au Canada. Son contenu, qui est de nature purement informative, ne saurait en aucunes circonstances être assimilé à un avis de nature juridique ou autrement professionnelle. Si vous souhaitez obtenir un tel avis, il importe que vous contactiez notre cabinet directement.
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