Cet article a été préparé avec l'aide de Lambert Beaulac.
Le 10 janvier 2024, le Règlement modifiant principalement le Règlement sur la langue du commerce et des affaires (le « Projet de règlement ») a été publié dans la Gazette officielle du Québec. Le Projet de règlement était très attendu par la communauté juridique et les entreprises touchées par les changements introduits à la Charte de la langue française (la « Charte ») en juin 2022 via la Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français (la « Loi 96 »).
Rappelons que la Loi 96, dont le but était de donner plus de mordant à la Charte, a modifié significativement certaines dispositions de la Charte, dont celles afférentes aux inscriptions sur les produits et à l’affichage public au Québec. Ces modifications ont par le fait même introduit des incertitudes face à l’interprétation des dispositions amendées. Nous vous référons d’ailleurs à notre plus récent article « La Loi 96 et son impact sur les exigences en matière de langue française au Québec » pour un résumé de certains de ces changements et incertitudes eu égard à la langue du commerce et des affaires au Québec.
Le présent article offre un survol rapide des points importants à retenir du Projet de règlement. Un autre article analysant davantage les changements proposés et leur impact anticipé suivra dans les prochaines semaines.
1. Inscriptions sur les produits
- Le mot « produit » inclut son contenant ou son emballage ainsi que tout document ou objet qui l’accompagne.
L’article 51 de la Charte énonce la règle générale applicable aux inscriptions sur un produit, son contenant ou son emballage ainsi que sur tout document ou objet qui accompagne le produit. Cependant, l’article 51.1 de la Charte, introduit par la Loi 96 et qui énonce l’exception de la « marque de commerce déposée » pour les inscriptions sur les produits, ne fait référence qu’au mot « produit ». Le Projet de règlement vient ainsi remédier à cette incohérence en précisant la portée du mot « produit » pour inclure son contenant, son emballage ou tout document ou objet qui l’accompagne.
- Une marque de commerce dont la demande d’enregistrement est en instance est assimilée à une marque de commerce déposée.
L’article 51.1 de la Charte introduit l’exception de la « marque de commerce déposée » pour les inscriptions sur les produits en remplacement de l’exception de la « marque de commerce reconnue ». En vertu de la Loi sur les marques de commerce, une marque de commerce déposée au Canada est une marque qui y est enregistrée. L’exception de la « marque de commerce reconnue » quant à elle comprend non seulement les marques déposées, mais également les marques d’usage connues (pourvu que leur équivalent en français ne soit pas enregistré). Cette restriction de l’exception n’avait pas été bien reçue. Le Projet de règlement vient toutefois élargir la portée de l’exception de « la marque de commerce déposée » pour les inscriptions sur les produits en y incluant toute marque en cours d’enregistrement au Canada et ce, à compter du dépôt de la demande.
- Les mots « descriptif » et « générique » ne sont pas clairement définis.
En vertu de l’article 51.1 de la Charte, un descriptif d’un produit ou un générique compris dans une marque de commerce déposée dans une langue autre que le français doit être traduit en français et sa traduction française doit figurer sur le produit ou sur un support qui s’y rattache de façon permanente. Bien que le Projet de règlement propose une définition de « descriptif » et « générique », ces définitions donnent peu d’indice sur la façon dont l’Office québécois de la langue française (l’« OQLF »), l’organisme en charge de faire appliquer la Charte et ses règlements, interprétera ces termes en pratique.
À noter que le Projet de règlement ne fournit aucune précision sur la signification de l’expression « sur un support qui s’y rattache de façon permanente ».
- L’impact visuel de la traduction française d’un « descriptif » ou d’un « générique » dans une marque de commerce déposée apparaissant sur un produit doit respecter l’exigence de l’équivalence du français.
L’article 51.1 de la Charte demeure silencieux quant au traitement visuel à donner à la traduction française d’un descriptif ou générique compris dans une marque de commerce déposée devant apparaître sur le produit ou sur un support qui s’y rattache de façon permanente. Le Projet de règlement précise maintenant que tout tel descriptif ou générique dans une autre langue ne peut l’emporter sur le descriptif ou générique en français ou être accessible dans des conditions plus favorables.
- Les entreprises ont jusqu’au 1er juin 2027 pour se conformer à l’article 51.1 de la Charte pour les produits fabriqués avant le 1er juin 2025.
Le Projet de règlement prévoit une période de grâce jusqu’au 1er juin 2027 afin de permettre aux entreprises de se conformer à l’article 51.1 de la Charte, mais uniquement pour les produits fabriqués avant le 1er juin 2025.
2. Les publications commerciales
- Les publications commerciales incluent les médias sociaux et les sites Internet.
Bien que l’OQLF considérait déjà que les publications commerciales incluaient les médias sociaux et les sites Internet, ceux-ci n’étaient pas spécifiquement énumérés dans la définition de « publications commerciales » sous la Charte. Le Projet de règlement confirme l’interprétation de l’OQLF en spécifiant expressément que ceux-ci sont considérés comme des publications commerciales. Les médias sociaux et les sites Internet doivent ainsi se conformer, entre autres, à l’article 52 de la Charte.
- L’exception de la « marque de commerce reconnue ».
La Loi 96 est demeurée silencieuse quant à l’exception de la « marque de commerce reconnue » applicable aux publications commerciales. À titre de rappel, une marque de commerce reconnue inclut une marque déposée au sens de la Loi sur les marques de commerce (voir ci-dessus) ou une marque d’usage connue au Canada (pourvu que leur équivalent en français ne soit pas enregistré). Il était attendu du Projet de règlement qu’il remplace l’exception de la « marque de commerce reconnue » par celle de la « marque de commerce déposée » pour les publications commerciales, comme cela a été fait dans la Charte pour les inscriptions sur les produits et l’affichage public et la publicité commerciale. Le Projet de règlement n’a toutefois pas restreint de la sorte la portée de l’exception pour les publications commerciales.
3. L’affichage public
- L’affichage public à l’extérieur d’un « local » d’une marque de commerce déposée.
La Loi 96 a introduit l’article 58.1 à la Charte en matière d’affichage public visible depuis l’extérieur d’un « local » d’une marque de commerce déposée rédigée dans une langue autre que le français. Ce changement a créé une incertitude à savoir si l’article 58.1 ne s’appliquera qu’à un local ou également à un immeuble. Cette incertitude découle du fait que dans le Règlement sur la langue du commerce et des affaires, l’exigence de la présence suffisante du français (abrogée par le Projet de règlement) est applicable à la fois à un local et à un immeuble. « Local » y était essentiellement défini comme un espace, fermé ou non, dans un centre commercial alors qu’« immeuble » y était essentiellement défini comme un bâtiment. Le Projet de règlement remédie à cette incertitude en élargissant la portée du mot « local » pour y inclure un « immeuble ».
- La nette prédominance du français dans l'affichage public d’une marque de commerce déposée à l’extérieur d’un local.
L’article 58.1 de la Charte remplace l’exigence de la présence suffisante du français dans l’affichage public d’une marque de commerce déposée visible à l’extérieur d’un local par celle de la nette prédominance du français.
Le Projet de règlement fournit les paramètres pour se conformer à cette nouvelle exigence :
- La marque de commerce déposée doit être accompagnée de termes en français ayant un impact visuel beaucoup plus important, soit être au moins 2 fois plus grands que la marque de commerce déposée, et offrir une lisibilité et une visibilité équivalentes;
- Sont acceptables, un slogan, une expression générique ou tout autre description de la nature du commerce en français;
- Dans l’appréciation de l’impact visuel, la marque de commerce déposée qui est affichée doit être tenue en compte; et
- Ce slogan, cette expression ou cette description ne doit pas nécessairement apparaître sur la même affiche que la marque de commerce déposée. Les termes en français peuvent apparaître ailleurs sur l’immeuble ou le local, pourvu qu’ils soient visibles et lisibles en même temps que la marque de commerce déposée, dans une vue d’ensemble, sans avoir à se déplacer.
4. L’exception de la « marque de commerce reconnue » : Trois régimes distincts
Nous notons que le Projet de règlement crée trois régimes distincts pour l’exception de la « marque de commerce reconnue » :
- Pour les inscriptions sur les produits, l’exception s’applique aux marques enregistrées au Canada et aux marques de commerce en instance d’enregistrement au Canada (pourvu que leur équivalent en français ne soit pas enregistré);
- Pour les publications commerciales, incluant les médias sociaux et les sites Internet, l’exception demeure inchangée et s’applique donc à la fois aux marques enregistrées au Canada et aux marques d’usage connues au Canada (pourvu que leur équivalent en français ne soit pas enregistré);
- Pour l’affichage public d’une marque de commerce déposée visible depuis l’extérieur d’un local, l’exception ne s’applique qu’aux marques de commerce enregistrées au Canada (pourvu que leur équivalent en français ne soit pas enregistré).
À noter que le Projet de règlement fait l’objet d’une période de consultation de 45 jours ayant débuté le 10 janvier 2024. Pendant cette période, toute partie intéressée peut soumettre ses observations au ministre de la Langue française. Le Projet de règlement pourrait donc être amendé. Nous vous invitons à demeurer à l’affût de nos prochaines publications en la matière.
Le texte du Projet de règlement est disponible sur le site Internet de la Gazette officielle du Québec.
Dans l’intervalle, n’hésitez pas à contacter un membre de notre groupe Marques de commerce et protection des marques pour toute question afférente à la Charte et ses règlements.
Le présent article se veut une mise à jour ponctuelle en matière de droit des technologies et de la propriété intellectuelle en vigueur au Canada. Son contenu est uniquement informatif et ne constitue pas un avis juridique ou professionnel. Si vous souhaitez obtenir un tel avis, nous vous invitons à contacter notre cabinet directement.
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