Le 15 novembre 2019, la Cour fédérale a rendu une ordonnance obligeant les principaux fournisseurs de services Internet (« FSI ») du Canada à empêcher leurs abonnés d'accéder à deux services Internet qui distribuent illicitement du contenu télévisuel et cinématographique piraté. Cette décision, rendue dans l'affaire Bell Media Inc. et al c. Goldtv.biz et al., 2019 CF 1432, est une victoire importante pour les titulaires de droits d'auteur, car il s'agit de la première ordonnance de blocage de site rendue par un tribunal canadien.
Les demandeurs ont été représentés avec succès par François Guay, Guillaume Lavoie Ste-Marie et Olivier Jean-Lévesque du bureau de Smart & Biggar à Montréal.
Contexte
Au cours des dernières années, les services d'abonnement non autorisés qui fournissent un accès illégal à du contenu télévisuel et cinématographique en direct et sur demande au moyen d'interfaces conviviales sont devenus de plus en plus populaires. Ces services sont généralement conçus, offerts et promus par des développeurs de logiciels qui s'efforcent de dissimuler leur identité sur Internet, ce qui rend particulièrement difficile pour les titulaires de droits d'auteur de prendre des mesures afin de protéger efficacement leurs droits.
Le 17 juillet 2019, Bell Media inc., Groupe TVA inc. et Rogers Media inc. (les « Demandeurs ») ont intenté une poursuite pour violation de droits d'auteur contre les développeurs et opérateurs anonymes à l'origine de deux services d'abonnement non autorisés très populaires opérant sous le nom de GoldTV (les « services GoldTV »), qui distribuent une vaste quantité de contenu appartenant aux Demandeurs et à des tiers. Malgré la délivrance d'injonctions provisoires et interlocutoires contre les services GoldTV en juillet et en août 2019, certains des services sont demeurés en activité, laissant les Demandeurs sans recours apparent.
Dans ce contexte, les Demandeurs ont sollicité une ordonnance qui obligerait les principaux FSI du Canada à empêcher leurs abonnés d'accéder aux services GoldTV. Les tribunaux canadiens n'avaient jamais accordé un tel recours, lequel n'est pas explicitement prévu en droit canadien, mais des ordonnances semblables avaient déjà été rendues dans d'autres juridictions comme le Royaume-Uni, la France et l'Australie.
Décision
Bien que la plupart des FSI ciblés aient consenti à la requête en vue d'obtenir une ordonnance de blocage de site ou ne s'y soient pas opposés, un FSI s'y est opposé pour divers motifs, notamment que la Cour n'avait pas compétence pour rendre l'ordonnance proposée et que celle-ci serait trop envahissante, inefficace et contraire au principe de la neutralité du net.
Dans sa décision du 15 novembre 2019, la Cour fédérale a accepté la position avancée par les Demandeurs selon laquelle l'ordonnance demandée, bien que nouvelle, constituait un recours efficace et équilibré pour protéger leurs droits et a ainsi rendu l'ordonnance de blocage de site demandée.
Dans le cadre de son analyse, l'honorable juge Gleeson a conclu que l'ordonnance pouvait être accordée en vertu du pouvoir général de la Cour, à titre de tribunal d'equity, d’émettre une ordonnance dans tous les cas où il paraît juste ou opportun de le faire. La Cour s'est également fondée sur la décision et les motifs de la Cour suprême dans l’arrêt Google Inc. c. Equustek Solutions Inc. (2017 CSC 34). Dans cette affaire, Google a reçu l'ordre de retirer de son moteur de recherche tous les sites Internet utilisés par un défendeur. La Cour s’est en outre fondée sur d'autres types d'ordonnances extraordinaires visant des tiers innocents, comme les injonctions de type Norwich et Mareva.
La Cour fédérale a reconnu qu'elle devait élaborer un test pour l’exercice de ce nouveau recours. Sur ce point, le juge Gleeson a accepté d'appliquer le test proposé par les Demandeurs, qui consiste notamment à examiner le test applicable aux injonctions interlocutoires (question sérieuse, préjudice irréparable et prépondérance des inconvénients) et, au troisième volet du test, à tenir compte de divers facteurs appliqués dans des affaires similaires au Royaume-Uni pour s'assurer que l'ordonnance est proportionnelle et que ses effets sur les parties sont correctement soupesés.
En appliquant à cette affaire le test en question, la Cour a conclu que la preuve révélait une forte preuve prima facie de violation du droit d’auteur, que les Demandeurs subiraient un préjudice irréparable si l'injonction n'était pas accordée et que la nécessité de prévenir ce préjudice l’emportait sur l’incidence éventuelle sur les FSI et les consommateurs canadiens d'une ordonnance de blocage de site. La Cour a donc rejeté la position adverse qui avait été mis de l’avant et a accordé l'ordonnance de blocage de site.
Cette ordonnance rendue par la Cour fédérale enjoint aux FSI de bloquer une liste initiale de domaines, de sous-domaines et d'adresses IP associés aux services GoldTV, liste qui peut être mise à jour et modifiée au besoin.
Conclusion
Cette décision est une victoire importante pour les titulaires de droits d'auteur canadiens, qui se sont trop souvent trouvés sans recours efficace contre ceux qui portent atteinte à leurs droits sur Internet, surtout lorsque ces derniers demeurent inconnus ou se trouvent dans des pays étrangers.
Les titulaires de droits devraient également se sentir encouragés par la souplesse et la volonté dont fait preuve la Cour fédérale d'accorder des injonctions en equity contre des tiers innocents sans dispositions législatives explicites, ce qui pourrait ouvrir la voie à d'autres recours à mesure que la technologie évolue. Par ailleurs, cette décision fait suite à une série de décisions récentes dans lesquelles la Cour fédérale a accordé divers recours extraordinaires contre des services de piratage, démontrant ainsi qu'elle comprend les effets très dommageables du piratage au Canada et le besoin urgent de s'attaquer à ce problème.
Pour de plus amples renseignements concernant cette affaire ou sur les litiges devant les tribunaux fédéraux et provinciaux du Canada, veuillez communiquer avec un membre du groupe de litige de notre cabinet.
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