Les employés d’une entreprise sont souvent à l’origine des actifs intangibles les plus importants de leur employeur, soit les droits de propriété intellectuelle. Dans ce contexte, il est primordial pour les entreprises de s’assurer qu’elles détiennent bien les droits sur cette propriété intellectuelle. Au Canada, les règles applicables à la titularité de la propriété intellectuelle développée dans le cadre d’une relation employeur-employé varient grandement selon qu’elles visent les droits d’auteur, les brevets ou les dessins industriels. Les entreprises ayant des employés au Canada ont donc tout intérêt à se familiariser avec ces différentes règles et à incorporer les clauses de transfert de propriété intellectuelle nécessaires dans leurs contrats d’emploi afin d’éviter toute incertitude.
Droits d’auteur
Plusieurs croient à tort que la protection par droit d’auteur est limitée aux œuvres dites « artistiques » telles que les peintures, films et pièces musicales. Or, le droit d’auteur permet de protéger un très large éventail d’œuvres qui peuvent s’avérer être précieuses pour une entreprise, telles les logos, les catalogues, le code informatique, le contenu d’un site Internet, les interfaces graphiques, les œuvres architecturales, etc.
Au Canada, en règle générale, l’auteur sera le premier titulaire du droit d’auteur dans son œuvre. Par contre, l’article 13(3) de la Loi sur le droit d’auteur prévoit une exception importante : lorsque l’auteur est employé en vertu d’un contrat de louage de service et que l’œuvre est créée dans l’exercice de cet emploi, et à moins de stipulation contraire, l’employeur deviendra le premier titulaire des droits d’auteur dans cette œuvre, et ce, sans cession formelle des droits de l’employé vers l’employeur. Il est donc important pour les employeurs canadiens de connaître les trois conditions à rencontrer pour que cette exception s’applique.
Premièrement, l’employeur et l’employé doivent être liés par un contrat de louage de service, par opposition à un contrat d’entreprise. Une relation de travail plus « traditionnelle » entre l’employeur et l’employé indiquera généralement que celui-ci est lié par un contrat de louage de service et que la première condition est remplie. À l’opposé, lorsque le statut de l’auteur se rapproche de celui d’un consultant indépendant, les exigences de l’article 13(3) ne seront pas satisfaites puisque les tribunaux concluront plutôt à l’existence d’un contrat d’entreprise.
Deuxièmement, l’auteur doit avoir créé l’œuvre dans le cadre de son emploi. Ce critère est relativement simple à évaluer et bien que les tribunaux prennent en considération une multitude de facteurs, ils tenteront essentiellement de déterminer si l’œuvre a été créée suite aux instructions de l’employeur et à l’aide de ses ressources (ex. équipement, information confidentielle, etc.) ou plutôt durant le temps libre de l’employé et grâce aux ressources de celui-ci. Il est toutefois important de noter que lorsqu’un employé est engagé expressément pour créer un type particulier d’œuvre, le droit d’auteur dans cette œuvre sera dévolu à l’employeur, et ce, même si l’employé crée l’œuvre dans son temps libre et à sa propre initiative.
Troisièmement, il ne doit exister aucune entente prévoyant que l’employé conservera le droit d’auteur dans les œuvres créées dans le cadre de son emploi. Contrairement à une cession de droit d’auteur, qui doit nécessairement être rédigée par écrit au Canada, la « stipulation contraire » de l’article 13(3) ne doit pas forcément être écrite et sera même présumée dans certains cas. Par exemple, une telle « stipulation contraire » peut être présumée dans le contexte académique, où il est normalement convenu que les professeurs retiennent les droits d’auteur dans leurs œuvres malgré leur relation d’emploi.
Enfin, il est important pour l’employeur de considérer les principes légaux qui encadrent les droits moraux de l’auteur. Au Canada, ceux-ci incluent entre autres le droit à l’intégrité de l’œuvre et le droit d’être cité comme son auteur. Peu importe si l’employeur détient les droits d’auteur dans l’œuvre de son employé de par l’exception décrite ci-dessus ou suite à une cession par contrat, l’auteur conserve ses droits moraux dans l’œuvre puisque ceux-ci ne peuvent être cédés. L’auteur peut toutefois y renoncer et il est donc préférable pour l’employeur d’inclure une clause à cet effet dans le contrat d’emploi.
Brevets
Contrairement à la Loi sur le droit d’auteur, la Loi sur les brevets n’adresse pas directement la titularité des droits sur les inventions créées dans le cadre d’un emploi. Les principes applicables ont donc été développés par les tribunaux et, contrairement au droit d’auteur, la règle générale dicte que l’employé conservera ses droits sur les inventions qu’il crée dans le cadre de son emploi. L’employeur peut tout de même tirer avantage de deux exceptions à cette règle: il sera titulaire des droits sur les inventions de ses employés s’il existe une entente expresse à cet effet ou si l’employé a été « engagé pour inventer ».
Afin de déterminer si un employé a été « engagé pour inventer », la Cour fédérale considérera huit facteurs, notamment si :
- l’employé a été engagé expressément dans le but d’inventer;
- l’employé avait inventé auparavant;
- l’employeur a mis en place des politiques pour inciter ses employés à inventer;
- la conduite de l’employé suite à la création de l’invention suggère que l’employeur en est le titulaire;
- l’employeur avait donné des instructions à l’employé de résoudre un problème spécifique et l’invention en est le produit;
- l’employé a demandé de l’aide à l’employeur lors de la création de l’invention;
- l’employé a utilisé de l’information confidentielle de l’employeur; et
- les termes d’emploi de l’employé prévoyaient que celui-ci ne puisse pas utiliser à son avantage les idées qu’il développe.
Les tribunaux provinciaux, qui ont aussi compétence en matière de brevets, n’appliqueront pas toujours les facteurs énoncés ci-dessus. En effet, ils auront plutôt tendance à suivre une approche plus générale qui consiste à déterminer ce pourquoi l’employé a été embauché et si l’invention a été créée dans la performance de cette tâche, auquel cas les droits dans l’invention seront détenus par l’employeur.
En raison de l’incertitude inhérente à l’application de tests jurisprudentiels, un employeur aura avantage à mettre en place une entente formelle avec ses employés, laquelle prévoira que les droits dans leurs inventions appartiendront à l’employeur, et ce, peu importe que les employés visés soient engagés pour inventer ou non. Cette approche clarifie non seulement la titularité des inventions créées par des employés travaillant directement ou indirectement en recherche et développement, mais assure aussi à l’employeur qu’il détiendra les droits dans les inventions parfois inattendues de ses autres employés.
Dessins industriels
De façon similaire à la Loi sur le droit d’auteur, l’article 12(1) de la Loi sur les dessins industriels prévoit que l’auteur d’un dessin en est le premier propriétaire à moins qu’il ne l’ait exécuté pour une autre personne pour contrepartie à titre onéreux, auquel cas cette autre personne en sera le premier propriétaire. Contrairement à la Loi sur le droit d’auteur, un lien d’emploi n’est toutefois pas nécessaire pour l’application de cette exception sous la Loi sur les dessins industriels.
En raison du nombre limité de causes en dessin industriel faisant l’objet de litiges au Canada, il n’existe que très peu de jurisprudence sur cette question et les décisions disponibles datent d’une époque relativement lointaine. La jurisprudence suggère toutefois que le salaire d’un employé peut équivaloir à la contrepartie à titre onéreux requise par l’article 12(1) et que les dessins développés dans le cadre d’un emploi sont donc la propriété de l’employeur. Les tribunaux canadiens ne se sont toutefois pas prononcés sur la question à savoir si cette règle s’applique uniquement lorsque la création de dessins fait partie des tâches de l’employé, c’est-à-dire si le salaire doit être lié à la création du dessin pour se qualifier de « contrepartie à titre onéreux ». La règle de l’article 12(1) s’applique tant aux employés qu’aux travailleurs indépendants mais, comme pour les autres types de propriété intellectuelle, une entente formelle à l’effet que les dessins développés par les employés sont la propriété de l’employeur est généralement recommandée afin d’éviter toute incertitude sur la question.
Conclusion
Puisque les règles quant à la titularité varient grandement selon le type de propriété intellectuelle en cause, que les tests applicables manquent souvent de précision et peuvent donner naissance à des débats sans fin (p. ex. « engagé pour inventer » quoi exactement? où commence et se termine l’exercice de l’emploi? etc.) et que dans certaines industries un même employé peut être appelé à créer différents types de propriété intellectuelle au cours de sa carrière chez un même employeur, il est dans l’intérêt des entreprises ayant des employés au Canada d’avoir des ententes écrites formelles avec leurs employés.
Alors que la forme et le contenu exacts de ces ententes varieront selon les circonstances en l’espèce, elles doivent généralement prévoir que l’employeur soit le titulaire de tous les droits dans les œuvres, inventions et dessins créés par ses employés canadiens, que ces employés s’engagent à coopérer avec l’employeur afin de protéger et enregistrer ces droits et que les employés renoncent à leurs droits moraux, le cas échéant.
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